Boire du vin naturel, sauver la planète ?
"Le vin du futur sera nature ou ne sera pas ?"
« Boire un canon, sauver la planète« . Tu ne vois pas de lien évident entre les deux ? Alain Canet, agroécologiste spécialiste de l’agriculture du vivant à l’origine de ce slogan pointe du doigt le fait que notre mode de consommation de vin a un impact sur la nature.
Un constat repris par une journaliste à l’occasion de la conférence « Le vin du futur sera nature ou ne sera pas ? » animée lors du salon Sous les pavés de la vigne (édition 2022) par Antonin Iommi-Amunategui, auteur et spécialiste du vin naturel.
Autour de la table se trouvaient :
- Catherine Bernard, vigneronne dans le Languedoc et autrice
- Jacques Carroget, vigneron et président du Syndicat de défense des vins naturels
- Julie Reux, journaliste et autrice à l’origine de Vinofutur
- Alicia Dorey, journaliste au Figaro Vin
Je t’invite à écouter le podcast sur Radio Vino, c’est passionnant ! En attendant, je te propose de retracer dans les grandes lignes les conclusions de leurs échanges.
La vigne, victime et témoin du réchauffement climatique
En 2019, Catherine a perdu en quelques heures 20% de sa récolte. Elle a enregistré 53°C au sol, les vignes ont brûlé. Le choc.
Chez Jacques, en Anjou, le réchauffement climatique remonte à 2003. Cette année là, il a ramassé des gamays à 14,5°C d’alcool. « C’était pas bon ». Les tanins n’étaient pas mûrs.
Toute la difficulté aujourd’hui, c’est d’atteindre la maturité phénolique (celle des tanins), en même temps que la maturité alcoolique. Et pour ça « il faut proscrire toute la chimie de synthèse« . C’est indispensable.
C’est la vigueur de la vigne qui en prend un coup, souligne la vigneronne. Ses déséquilibres se font ressentir dans les vins. Ça devient de plus en plus difficile de faire du nature dans ces conditions.
« Ce que les vignes disent c’est que notre civilisation est menacée. Les abeilles l’ont aussi dit avant la vigne.
Mais nous ne les avons pas entendues. »
L'enjeu de la diversité génétique
Le manque de diversité génétique du côté de la vigne est pointé du doigt. Les pépinières multiplient les plants par l’intermédiaire du clonage. Aujourd’hui, il existerait dans le monde à peine une vingtaine de clones de porte-greffe différents, mentionne Catherine.
Imaginez des parcelles de 4500 pieds par hectare : « c’est comme si je ne parlais qu’à des clones de moi-même. C’est pas durable« .
La greffe est assimilée à une « opération chirurgicale ». Catherine se souvient de l’image employée par Philippe Pacalet : « c’est comme si on naissait avec des prothèses. » C’est un appauvrissement génétique.
Parmi LES solutions (parce qu’il n’existe n’existe pas une solution, mais des solutions adaptées à chaque région, chaque vigneron) Catherine évoque :
– La plantation de francs de pied, c’est à dire de vigne pré-phylloxériques*, mais on en trouve peu dans le monde.
– La diversification de la flore : si on alterne vignes, arbres, fruitiers, fleurs etc. on donne moins à manger au phylloxera. On freine son développement.
Et les hybrides ?
Pour Lilian Bauchet, vigneron nature du Beaujolais, la solution, c’est les hybrides. Ces cépages résistent aux maladies et se passent donc de traitements de synthèse.
Catherine et Jacques sont quant à eux plus nuancés.
Catherine ne passera pas le cap des hybrides. Pour elle, ce serait aller vers « le mur de la monoculture ».
Jacques rappelle l’attachement aux traditions. Les cépages sont intimement liés aux cultures régionales.
Changer de logique de production et de consommation
A la question, pourrait-on convertir l’ensemble des surfaces viticoles de France à l’agriculture biologique, la réponse est non. Il faudrait que chacun d’entre nous aie ses propres parcelles et devienne vigneron, souligne Catherine.
Et elle poursuit : environ 60% des volumes de vin produits aujourd’hui viennent des coopératives.
Là où, en conventionnel, une seule personne suffit pour gérer 30 hectares de vignes (avec l’usage de glyphosate et de pesticides), en bio, il en faut 3. Qui finance ça ? Ce n’est pas évident. Une aide politique est nécessaire pour faciliter la transition.
Pour Jacques Carroget, si on ne change pas notre façon de penser, de faire, « on va droit dans le mur ». On doit sortir de la logique de rendement, du productivisme.
Il insiste. Il faut saluer le courage des jeunes qui se lancent, « rendre hommage à ceux qui font l’effort ». Ces vignerons nature dépassent les normes et tâchent de trouver de nouvelles voies, durables elles.
Côté consommateur, boire du vin naturel, c’est d’une part soutenir les vignerons et leurs démarches.
C’est aussi choisir des vins qui transmettent des émotions. On sort de la technique. On est davantage sur le ressenti. Comme le souligne Alicia, le vin naturel permet de démocratiser le monde du vin, il le rend plus accessible.
Alors ? Conclusion ? Boire du vin naturel = sauver la planète ? Alors oui, le slogan est un peu provocateur, certes. On se doute que cela ne suffira pas. Mais oui, boire du vin naturel c’est pas seulement boire un canon. C’est aussi un acte militant.
A vos verres 🙂
* porte-greffe : plante pourvue d’un système racinaire résistant au phylloxera et sur lequel on vient implanter un greffon.
* phylloxera : sorte de pucerons ravageurs de la vigne survenus pour la première fois en France en 1863.